26 janvier 2012
Philosophie à outrance est un ouvrage qui est consacré aux thèses de Rabelais. Car même s’il n’y pas une philosophie de Rabelais, on peut essayer de faire une philosophie avec Rabelais. À partir du caractère hétérogène et saturant des informations qu’il donne, nous pouvons tenter de faire une philosophie.
Les propositions du texte (l’édition de la Pléiade, pages 918 et 919) nous servirons de guide pour cette structuration systématique. Ces propositions sont d’une telle complexité linguistique et mythologique qu’il est difficile d’en faire un bon usage. Pourtant, elles nous ouvrent la voie pour une philosophie qui résiste à notre contemporanéité.
Communément, Rabelais semble être d’un nihilisme intense, d’une puissance de destruction faisant regretter ce que la Renaissance a de plus affirmatif. Il représentera la voie bouffonne, transgressive et hétérodoxe d’une cosmologie panthéiste s’opposant au créationnisme chrétien qui s’exprime en Italie chez Bruno.
Rabelais est le modèle du roman français humaniste et le père du roman français fictionnel. La littérature est un geste d’écriture qui use de fiction pour parvenir à l’autoréflexion du geste d’écrire. Une écriture produit des fictions non en vue de développer un imaginaire, mais pour produire une autoréflexion sur ce qu’est l’écriture.
Le
coup de dés de Mallarmé est le point le plus élevé d’une fiction qui produit une conscience aiguë du fait de l’écriture, dont le problème est celui du hasard. La thèse de Mallarmé est que la littérature est l’échec d’une pensée qui tente de maîtriser le hasard; la nécessité ne s’impose jamais jusqu’au bout. L’écriture est celle de l’échec, de l’impossibilité. Le réel littéraire est impossible.
Rabelais peut s'interpréter comme une lutte contre le hasard. Ce serait la tentative de donner un ordre aux signes, et la découverte que cet ordre doit céder devant l’évidence que le hasard règne dans l’écriture. Cette conscience finit dans le rire, qui est la conscience de la contingence de la littérature. C’est une lecture mallarméenne de Rabelais, descendante de Blanchot.
Mais il existe un livre qui change cette interprétation de Rabelais. Ce n’est pas l’interprétation académique, fictionnelle, de Rabelais, mais le texte d’un ethnologue, Claude Gaignebet,
À plus haut sens - l’ésotérisme charnel et spirituel de François Rabelais. Ce livre comporte de nombreuses illustrations. Dernière la dimension romanesque de Rabelais, un certain nombre de folklores populaires se fait jour. Ce livre superpose des observations de Rabelais et des faits thématisés par les ethnologues. Rabelais devient un ethnologue, le premier d’un champ mythologique qui est la France elle-même.
Bakhtine, marxiste qui appartient à la théorie dialogique, considère la littérature non comme un fait d’écriture, mais le produit d’une interlocution humaine constituée dans un espace d’intersubjectivité. Bakhtine écrit un livre majeur, extraordinaire, sur Rabelais, en TEL Gallimard,
Rabelais et le carnaval. Rabelais apparaît comme une insurrection populaire qui propose la subversion des idéaux de la Renaissance. Malgré ses appartenances à l’humanisme, Rabelais reste plus fidèle au Moyen-âge qu’à la Renaissance. Il est une révolte des Médiévaux contre la Renaissance. Bakhtine soutient qu’il y a une contestation que Rabelais effectue contre l’idéologie ficinienne en libérant les forces populaires du Moyen-âge. Il fait remonter une subversion des formes nobles de la culture à partir du module de l’inversion.
Ficin tente de reconstruire un platonisme chrétien pour l'élite de l'Italie ; il réélabore le dispositif platonicien à partir d'éros, dans une œuvre au moins aussi belle que celle de Botticelli. Rabelais met Gaster, l’estomac, en lieu et place de l’éros ficinien - formant une nouvelle règle, "tout pour les tripes". Dans ce retournement, il opère une réversion carnavalesque de la culture florentine, imposant la grossièreté gauloise contre l’humanisme noble.
Claude Gaignebet est proche de Bakhtine dans la mesure où il suppose que nous ne pouvons comprendre Rabelais que dans l’émergence d'une culture populaire, attestée à partir de rites observés dans les fêtes villageoises, dans l’épaisseur de la vie sociale de la Gaule. Bakhtine s'intéresse à l'inversion, il prend la culture populaire comme une dynamique qui subvertit les états de culture qui se figeaient sous la forme du classicisme.
Claude Gaignebet, avec une connaissance forte des vieilles traditions de la culture française, retrouve les rites articulés dans le texte de Rabelais. Il est l’héritier de Henri Dottenville, notaire des années 1920 qui fit une carte de France où il marqua les lieux de France que Rabelais désignait pour mettre en scène ses héros. Dans l’ouest de la France, les sites où se déroulent les événements de la narration rabelaisienne comportent des lieux-dits qui sont en relation avec les noms de héros de Rabelais. Par exemple, Dottenville reprend le syntagme Gargan pour montrer que, avant Rabelais, il existe nombre de lieux qui portaient ce nom.
Les travaux d’ethnologie de Claude Gaignebet nous obligent à tenir compte de l’importance de la mythologie française. Car on considère habituellement qu'il n’y a pas de dieux en France, pas de mythologie française, seule la littérature est sa mythologie.
Dottenville fait émerger l’idée d’une mythologie française dont le premier témoin serait Rabelais. Il retrouve ainsi les traits de la mythologie française et restitue le panthéon perdu de la Gaule. Pour Dottenville, la vraie mythologie française s’articule autour de l'axe de Gargan. Le dieu Gargan renvoie aux géants hérités des grandes mythologies celtiques, il est une figure du dieu solaire Bel. Cette information nous renvoi à un passage célèbre de César : les druides possèdent une mythologie complète qu’ils n'ont pas le droit d’écrire qui est perdue. Les Romains tentent à l’effacer sous l’argument qu’ils pratiquent les sacrifices humains. Alors cette mythologie ne serait préservée que par des tombes ou des stèles, auxquelles Rabelais consacre son travail en essayant de la restituer. Plus tard, cette thèse sera défendue par Malraux.
Dès 1903, au moment où l'on fit l’édition des œuvres de Descartes, (par Adam et Tannery), on procèdent à l’édition des œuvres complètes de Rabelais. Les éditeurs créent la revue
Les études rabelaisiennes, qui rappelle ce qu’il reste des traces des rites populaires résistant dans le substrat de la vie française. L’édition, par Abel Lefranc
, François Rabelais : Œuvres (en coll., 5 vol. 1913-1931), est inachevée, mais reste inouïe. De plus, il y a plusieurs éditions des œuvres de Rabelais, qui comportent des modifications qui ne sont jamais dues au hasard. Les ratures et aux ajouts ont un sens fort qui révèlent des censures et des coups d’audace. Ils représentent un terreau explicatif du projet rabelaisien et une herméneutique entière peut être consacrée exclusivement aux différences entre les éditions. Il reste que Rabelais est un auteur tellement compliqué que nous ne trouvons pas la clé d'ensemble. Un processus herméneutique est lancé, mais il faut renoncer à donner une interprétation close.
L’ethnologue Claude Gaignebet prend la suite des travaux de Dottenville en apportant sa contribution par l’observation des fêtes, des rites, des cérémonies populaires. Il observe par exemple qu’il est difficile de limiter le dieu Gargan à la seule mythologie française :en Italie, vers Bari, il y a aussi le Monte Gargano. L'étymon de garg doit avoir un espace de diffusion plus large que l’espace français gaulois. On rencontre des convergences vocaliques qui semblent désigner la gorge.
Quel est alors le rapport entre Gragan, les monts Gargan en France et en Italie?
Une première approche nous est indiquée par le fait que Le Monte Gargano en Italie est un lieu dévoué à Saint Michel. Nous nous retrouvons ici dans un horizon de réflexion qui est celui des saints successeurs des dieux. Les Français auraient bien eu des dieux, mais sans avoir la force de les maintenir face au christianisme. Ils mettraient des noms de saints chrétiens là où se trouvait le culte des dieux anciens. Il y a un lien à trouver entre ce mont italien et Saint Michel, qui est peut-être le dieu tutélaire.
Rabelais publie son premier volume, le
Pantagruel, à Lyon en 1532, où il est responsable de l'hôtel-Dieu. Cette année est celle d'une intense activité pour lui. Il publie des ouvrages de médecine, des commentaires de textes anciens. Cet auteur très actif publie de la haute philologie, et d’un coup il publie - sans révéler son nom - le
Pantagruel qui devient l'explosion du phénomène Rabelais en France. Chez un petit éditeur (et non chez son ami Grief, éditeur de ses autres ouvrages de médecine), paraissent deux petits livres, qui, quelques mois avant, parlent de la légende de Gargantua et de Pantagruel. Ce sont des almanachs de colportage. Il sort un ouvrage simple et court, modeste, qui est
La vraie histoire de Gargantua. Quelques semaines après, un autre ouvrage, les
Chroniques, raconte aussi d’une autre façon l’histoire de Gargantua. Rabelais semble chiper le thème de Gargantua à ces dossiers, au point que l’on se demande s'il n’est pas l’auteur de ces almanachs. Nous sommes au moins certains que Rabelais écrivit la table des matières.
On trouve dans ces récits l'enseignement que Gargantua est né au Mont Saint-Michel, plus exactement sur l'île d’à-côté, sur un tertre celtique, Tombelaine. C’est depuis cette île que Gargantua connut son roman d'éducation le conduisant à ses aventures.
La question que se pose est qui promouvait ce genre de mythologie à la Renaissance? Pourquoi associer des lieux celtiques et des maîtres de la théologie chrétienne? Quel est le contre-pouvoir consacré dans ces enseignements qui apparait un savoir alternatif à la représentation humaniste ?
Mais il semble que ce n’est pas un savoir de pure inversion comme chez Bakhtine. Nous trouvons l'idée, qui vérifie plus Dottenville que Bakhtine, d’un sous-savoir de l’Europe, d'une substructure résistante de l'Europe à ses propres idéologies qui ouvre par exemple la question de racines chrétiennes de l'Europe. Un historien italien, Carlo Ginzburg, affronte ces questions : il formule l’hypothèse d’une lutte entre une pensée latente souterraine et une pensée officielle qui pose problème, particulièrement en France
A toute cette problématique s’ajoute une réflexion sur le choix de Rabelais pour établir une chronologie des évènements concernant ses personnages.
Gargantua, Chapitre III, page 16
« L'occasion et maniere comment Gargamelle enfanta fut telle, et, si ne le croyez, le fondement vous escappe. Le fondement luy escappoit une aprèsdinée, le III. jour de febvrier, par trop avoir mangé de gaudebillaux. »
Si le fondement échappe, on ne trouve pas la raison de l’histoire. C’est un discours de la rationalité, celui d'une histoire qui a une cause. À ce discours s'en superpose un autre, une histoire de colique. Ceci donne matière à une double lecture, romanesque, historique, dont les possibilités sont entrevues par Bakhtine. Gargamelle eut des problèmes d’accouchement, car au moment d’accoucher elle avait une colique, car le deux février elle avait mangé trop de saucisses. Le trois février est un moment capital dans l’histoire de la chrétienté, les premières fêtes qui annoncent le carême. C'est le moment de la chandeleur, entre le jeune lié à la privation ascétique et les suites de fêtes qui donnent un droit à l’excès de nourriture.
Mais Gaignebet découvre que Gargantua ne naît pas n'importe quand ni n’importe comment. Le trois février est la fête d’un grand Saint, Blaise - Ra-Blaise. Rabelais passe son temps à jouer avec les lettres, au point d’en être soupçonné de kabbale. Rabelais est «rats et blattes», celui qui mange et digère la matière pour la transformer en quintessence. Saint Blaise dispose de deux fonctions. Premièrement, il guérit les maux de gorges. Il existe un rite populaire : disposer deux bougies le long de la gorge des enfants pour les prémunir contre les oreillons. C’est un rite de protection de la gorge. Saint Blaise est aussi le grand protecteur du compagnonnage. Rabelais aurait désigné dans Saint Blaise une combinaison entre des rites touchant la gorge, l'art d’avaler, les sphincters du corps humain, et les rites d’acceptation du compagnonnage.
Au moment de la Révolution française, la loi Le Chapelier interdit les guildes, les corporations, et détruit le compagnonnage. La France est bouleversée, les transmissions depuis le Moyen-âge ont été perdues, et aujourd’hui nous savons mal quels étaient les rites des compagnons. Le compagnonnage fut reconstitué par la suite par Horace Perguiller qui en fait des livres plus ou moins romantiques ; Sand aussi nourrit un mouvement romantique autour de ces valeurs. Un nouveau compagnonnage est ouvert à Tours. On peut essayer de retrouver un sens de l'initiation qui porte autour de la gorge et de l'étranglement, avec le thème de la corde, associée à l'idée de nœud, de lien entre les compagnons, de contenir et de protéger, mais aussi d'étrangler, avec le pouvoir de malédiction qui règne depuis Villon autour de pendus. Rabelais cite Villon, notamment
La ronde des pendus, qui serait un moyen de reconnaissance dans les ordres initiatiques.
Quels sont les exploits philosophiques de ces découvertes ?
Au delà de l'idée d'une mythologie française, qui est peut-être difficile à accepter, nous pouvons détecter dans les écrits de Rabelais une anthropologie semblable à celle de Freud. De même que Freud renverse et réécrit l'histoire de l'anthropologie occidentale en fondant sur la castration les modes de signification, de même le point clé n'est pas selon Rabelais la castration, mais le point de strangulation ou l’angoisse de l'étranglement. Le lieu occidental typique sera l’angoisse, le resserrement de la gorge. La thérapeutique de Rabelais ressemble à un yoga occidental qui desserrerait la gorge.
Une autre façon d’entrer dans ces thèmes consiste à dire qu’il y a un lien entre le fait que l’Occident soit le pays de l'angoisse et le pays de la communion sous l’espèce du pain et du vin, le lieu de l’ingurgitation du corps du Christ. L’Occident fait croire qu’il digère, mais il ne veut manger que des hosties.
Rabelais dénonce la névrose centrale de l’Occident, de vouloir manger Dieu et de ne pas pouvoir le faire. Le monde devient impossible à avaler parce que les chrétiens mangent Dieu ; la culpabilité de manger Dieu empêche de manger le monde. Dans le fond, l’Occident est profondément anorexique. Elle est la pensée transcendantale, l’art que Kant apprend de se contracter pour reconstituer le monde, de le constituer à partir de ce nœud subjectif qu’est la gorge. Le "je suis" de la psychologie rationnelle est cette gorge nouée qui m'enjoint à la domination totale de la nature tout en me privant d’une véritable assimilation des dons effectifs de la nature.
Rabelais est l'exemple brillant d’un refus de ce mécanisme : il desserre la gorge eucharistique pour rendre possible l’ingestion du monde. Nous libère-t-il d'une anorexie structurante du transcendantalisme occidental, ou est-il l’anorexique type qui vit jusqu’au bout la structure anorexique de toute civilisation?
Gargantua, Chapitre II - Les Fanfreluches antidotées, page 12
Leur propos fut du trou de sainct Patrice,
De Gilbathar, et de mille aultres trous :
S'on les pourroit réduire à cicatrice,
Par tel moien, que plus n'eussent la tous,
Veu qu'il sembloit impertinent à tous :
Les veoir ainsi à chascun vent baisler.
Si d'adventure ilz estoient à poinct clous,
On les pourroit pour houstage bailler.
Dans ce poème, Rabelais raconte qu’il faut dilater la gorge et l’anus, pour que l'individu ne soit plus un tétanisé sphincteriel, mais quelqu'un qui ait une libération qui fasse de lui un espace ou un canal de flux et de libération des énergies. D’où la pétomanie, non comme une fixation anale au sens de Freud, mais comme une libération qui sort de la petite pensée péteuse de l’Occident pour arriver à quelque chose de plus ouvert qui nous échappe.
Des personnages discutent sur les trous de Saint Patrice, dans lesquels, peut-être, les druides faisaient leurs incantations et qui furent un lieu de conflit avec les chrétiens. Mais Saint Patrice résout ce dernier en faisant un usage sain des puits et éviter qu’ils restent les ressources du paganisme. Les personnages qui incarnent le point de vue chrétien, s’efforcent à coudre ces puits pour empêcher la circulation.
Voilà un autre exemple qui se prête à l’interprétation :
Quand les gens toussent, un trou se libère et il faut remédier à cette toux. Le saint qui lutte contre la toux est Blaise. Faut-il invoquer Saint Blaise pour nous libérer de ce qui est étouffé en Occident? Ou bien Rabelais, en se plaçant dans ce geste de Saint Blaise et dans cette volonté d’en finir avec la toux, est-il celui qui réduit le monde à cicatrice?
Les meurs français veulent en finir avec l'impertinence de celui qui tousse et s’ouvre. Rabelais perçoit l’angoisse cette angoisse française de l’image sociale. L'ensemble de nos complexes, y compris jusqu'à l’amour du vin, appartient au registre de la fermeture et de l'ouverture. Le nouveau mot d'ordre de la bourgeoisie occidentale est de clore, de suturer les passages. Si nous appartenions à cette fermeture, nous transférions toute chose en un échange d'otages enfermé dans des sacs. Le modèle de Rabelais anticipe déjà le modèle de la production capitaliste : un système de fermeture auquel s'oppose un modèle puisatier de circulation des énergies entre le haut et le bas.
Rabelais veut faire des lieux de passage et non des lieux de seuils. Il est possible de synthétiser cet ensemble d’éléments émergents en un système de propositions, organiques, réciproques et encyclopédiques, qui sont le vade-mecum de la résistance des trous contre le monde moderne. Rabelais est comme un médicament, un baume, une pommade, qui permet de résister ou de se libérer de la grande suture, du grand renfermement, dont se constitue l’Occident moderne.
jeudi 2 février 2012
Rabelais est un auteur de la transgression, hétérodoxe. Mais à partir de quel matériel bibliographique déploie-t-il cette puissance de transgression? Les
Chroniques ont une origine inconnue, sont-elles un pur surgissement ? D’où Rabelais tire-t-il cette matière nouvelle gallique?
La réponse la plus probable est son attitude ethnologue et on retrouve un livre qui soutient Rabelais dans son oeuvre d’invention. Rabelais se caractérise lui-même comme expert en matière de bréviaire, livre qui contient les prières qu’un prêtre doit lire tous les jours pour être fidèle à sa vocation. Avec une structure complexe liée à l’année liturgique, il se compose pour chaque jour des rappels de l’évangile du jour, de commentaires et de recommandations de types de prières. Ce livre représente moins la théologie de l’Occident, mais l’expérience intime du prêtre et de son univers? Il y a une réciprocité entre le rite du vin et le rite du bréviaire. Rabelais buvait-il en disant lire ; ou lisait-il en disant boire ?
On peut lire l’œuvre rabelaisienne comme une réécriture rigoureuse du bréviaire, un contre-texte ou para-texte du bréviaire. Au XX siècle James Joyce fait pareille : Ulysse se découpe en séquences qui sont celles de l’épopée d’Homère, mais aussi celles de la messe catholique, du rite juif, du rite maçonnique et des traditions spirituelles.
Les pistes de lecture fournies par Rabelais restent difficiles à suivre.
Un passage du
Tiers livre manifeste l'admiration de Rabelais pour des héros des Croisades ayant pour chef Renaud de Montauban, qui a péché pendant la croisade. Voulant se confesser, il entre dans un ordre mineur et se consacre à travailler à la construction de la cathédrale de Cologne. Rabelais se sent proche de ce personnage mais confesse que son état ne lui permet pas d’être tailleur de pierres. Mais il peut faire à manger pour les tailleurs de pierre :
«Et je me nourrirais ainsi de leurs très célestes écrits?» Quels sont les écrits de ces tailleurs de pierre? Les dessins, la façade des cathédrales ? Ou bien les compagnons avaient-ils une littérature propre, passant par des transmissions propres?
Mais pour suivre Rabelais, la
Bible doit rester au centre des spéculations. Penser qu’il tentait une réécriture de la Bible, c’est une façon de comprendre des propositions rabelaisiennes difficiles. Dans la première édition du Pantagruel, de 1532, Rabelais affirme dans la conclusion que ce livre fait partie des «beaux évangiles en français». C’est ce que rapporte la note n°16 (page 1339) de la page 336 : «ce sont beaulx textes devangiles en francoys».
Cette expression scandaleuse disparaît dans la seconde édition. Ceci ne veut pas dire que la doctrine de Rabelais est l’évangélisme, d’un retour au christianisme primitif, en hommage à la sœur de François Ier.
Dans la
Question I de la
Somme théologique, Thomas d’Aquin élabore les principes épistémologiques de la théologie en expliquant comment on passe de la métaphysique d’Aristote à la théologie chrétienne dans un même dessein :une doctrine sacrée avec une vocation sapientielle. C’est une spéculation sur les principes analogue à celle d’Aristote, mais qui va plus loin : Aristote donne les premiers principes de la raison tandis que le christianisme change la finalité humaine. Ce n’est plus le désir d’appartenance à l’acte pur, mais un déjà sapientiel où le sujet désirant le savoir est appelé à remonter à un acte surnaturel embrassant sa raison mais aussi son corps (contemplation face-à-face de Dieu). Alors que le sage païen délaisse les éléments de son corps (Éthique à Nicomaque, Livre X), dans le christianisme nous sommes appelés à une résurrection de la chair. Notre dessein est un Salut par la vision béatifique et par la résurrection des corps.
Thomas dit que, dans ce dispositif architectonique, il y a dans le christianisme un élément nouveau, qui perturbe le dessein aristotélicien. La vision béatifique et la résurrection des corps ne relèvent pas d’une connaissance par la raison, mais d’un acte de foi. Il faut à Thomas une architectonique aristotélicienne mais dont le mécanisme d’accomplissement ne repose que sur un acte de foi. Ce dernier perturbe la pureté du
logos aristotélicien en prolongeant l’acte fini jusqu’à l’amour infini. Thomas met alors en place la théorie de la subalternation : dans les sciences du quadrivium, il y a un rapport de hiérarchie. Par exemple, l’acoustique a un objet propre, mais elle dépend d’un corps de science plus élevé, la géométrie. L’acoustique est une science autonome, mais elle est aussi soumise à un principe qu’elle ne fonde pas mais dont elle use. Le lien entre la science fondatrice et la science secondaire est un lien de subalternation. De même, dans le cas de la théologie, elle est subalterne à une science plus forte mais que nous ne connaissons pas, et qui est la science de Dieu lui-même.
Comment articuler la subalternation? Elle est réalisée par la foi qui est un effecteur de la subalternation de la science de Dieu à la science des hommes concernant Dieu. Il existe un livre qui transmet des contenus rendant effective la subalternation. Ce n’est pas un livre a priori, sinon il nous révèlerait la science de Dieu sur un mode théorique mais c’est un ensemble de faits : la Bible. Elle est l’ensemble de faits qui excitent par la foi à croire en la vision béatifique et en la résurrection des corps, et qui permet de réaliser le corps de la théologie. La Bible transforme la révélation en une activité intellectuelle, le révélable. Ce denier est l’ensemble du savoir que je peux tirer de la révélation dans le cadre de la subalternation.
Avec les
Chroniques, Rabelais donne l’impression d’écrire une autre forme de
Somme théologique, qui change le corpus de référence de la révélation. Un livre qui nous mette en relation avec Dieu mais par un corpus de faits para-bibliques? En réunissant les faits mystérieux du monde, il en fait un écrit qui est le corpus d’une révélation nouvelle, non plus contenue dans le judéo-christianisme, mais qui s’ouvre à d’autres types d’expériences religieuses. Et avec un mécanisme de subalternation, il reste à écrire une somme cette fois ci gallique composée comme la Somme théologique..
Dans cette hypothèse, le Mont Saint-Michel joue un rôle central. Rabelais tente de trouver dans le bassin ligérien une expérience de la vie, une anthropologie hétérodoxe, archaïque, oubliée, méprisée par la culture gallo-romaine. Il entend réécrire cette tradition à partir de la mythologie des géants. Ce pays est en lien avec l’Angleterre, d’où l’apparition du roi Arthur. C’est un projet franco-anglais associant Shakespeare et Gargantua. Joyce fera la synthèse de Shakespeare et de Rabelais.
De même que l’évangile se lit en quatre visages, il peut avoir quatre visages de la révélation gallique, qui sont les quatre livres. Le cinquième, non publié, en est une suite inévitable. Lue comme une répétition de la suite évangélique, l’œuvre de demande qu’elle soit lue attentivement, au moins autant d’attention que la Kabbale. Car il s’agit d’élargir la Bible, de créer une foi plus large, avec une universalité des révélations que seulement la Renaissance pouvait admettre.
Un autre modèle de cette extension le représente Marcil Ficin. La Renaissance représente non une mise en cause de la centralité de la Bible, mais fait valoir que la voie pan christique ne se maintient plus dans un monde multipolaire où il existe d’autres révélations.
Nicolas de Cues aussi accepte cette extension de la révélation intégrant d’autres révélables, mais il ajoute que seul le Christ est en mesure d’unifier la totalité des traditions.
Le problème de Rabelais est le même, mais dans une structure différente : son point organisateur n’est pas seulement Jésus Christ, mais aussi ce visage inquiétant de Jésus qui est le Géant. Le nœud du monde n’est plus le Christ comme messie incarné, mais cette révolte incarnée par Pantagruel. Rabelais se tient à égale distance entre Ficin, Nicolas de Cues et Luther :
Pantagruel, Prologue,
page 213
« […] affin que si d’adventure l’art de l’Imprimerie cessoit, ou en cas que tous les livres perissent, on temps advenir un chacun les peust bien au net enseigner à ses enfants, et à ses successeurs et survivens bailler comme de main en main, ainsy que une religieuse Caballe. »
La transmission de son œuvre n’est sans rapport à la Kabbale :
Tiers livre, Prologue de l’auteur, pages 349 et 350.
« Puys doncques que telle est ou mon sort ou ma destinée : (car à chascun n’est oultroyé entrer & habiter Corinthe) ma deliberation est servir & es uns & es autres : tant s’en fault que ie reste cessateur & inutile. Envers les vastadours, pionniers & rempareurs ie feray ce que feirent Neptune & Apollo en Troie soubs Laomedon, ce que feit Renaud de Montaulban sus ses derniers iours : ie serviray les massons, ie mettray bouillir pour les massons, & le past terminé au son de ma musette mesureray la musarderie des musars. Ainsi fonda, bastit, & edifia Amphion sonnant de la lyre la grande & celèbre cité de Thebes. Envers les guerroyans ie voys de nouveau percer mon tonneau. Et de la traicte (laquelle par deux praecedens volumes (si par l’imposture des imprimeurs n’eussent esté pervertiz & brouillez) vous feust assez congneue) leurs tirer du creu de nos passetemps epicenaires un guallant tiercin, & consecutivement un ioyeulx quart de sentences Pantagruelicques. Par moy licite vous sera les appeler Diogenicques. Et ne auront, puys que compaignon ne peuz estre, pour Architriclin loyal refraischissant à mon petit povoir leur retour des alarmes : & laudateur, ie diz infatigable, de leurs prouesses & glorieux faicts d’armes. Ie n’y fauldray par Lapathium acutum de Dieu : si Mars ne failloit à Quaresme. Mais il s’en donnera bien guarde le paillard.
Le quart de sentence est une bouteille mais aussi le quatrième livre de sentences de Pierre le Lombard. On retrouve l’analogie entre la Bible, la Somme théologique, Pantagruel, la mythologie gallique.
Tiers livre, Prologue de l’auteur, page 351
« Ie recongnois en eux tous une forme specificque, & proprieté individuale, laquelle nos maieurs nommoient Pantagruelisme, moienant laquelle iamais en maulvaise partie ne prendront choses quelconques, ilz congnoistront fourdre de bon, franc, & loyal couraige. Ie les ay ordinairement veuz bon vouloir en payement prendre, & en icelluy acquiescer, quand debilité de puissance y a esté associée. »
.
Nous pouvons prendre en charge la révélation gallique à condition de ne pas en faire du satanisme mais de la conduire à sa vraie dimension spirituelle et au vrai élargissement de la théologie qui en découle. Le pantagruélisme est une transfiguration de tout acte humain dans sa dimension la plus positive et la plus loyale.
Gargantua naît le trois février dans une suite de phénomènes scandaleux défrayant la chronique. Il est porté par sa mère pendant onze mois, il est donc conçu en mars. À la naissance, Gargamelle est prise de colique. Pour ne pas faire de fausse couche, elle prend un constipant qui l’empêche de perdre trop vite les eaux et l’enfant. Mais le médicament est tel que la femme ne peut plus accoucher, et l’enfant sort par son oreille (page 22). La Vierge Marie est une naissance miraculeuse de sa mère elle-même et elle est intouchée par la fécondation du Christ. Elle accepte le don de Dieu par la parole de l’archange Gabriel, donc elle est fécondée par l’oreille. Dans les hérésies cathares, la haine du corps est telle qu’on pensait que la Vierge avait enfanté Jésus par l’oreille pour qu’il ne soit pas touché par la vulve. D’où l’expression de Rabelais : je veux boire du vin à une oreille, c’est-à-dire dans une cruche.
Le trois février est le jour de la présentation de Jésus au temple. Il est reçu par Siméon qui tremble de joie et remercie Dieu de lui avoir donné la joie de voir un Sauveur. Dans les rites juifs, la mère est ainsi purifiée car elle ne porte plus l’infamie du sang qui s’écoule (33 jours de purification pour un garçon, 66 pour une fille). Marie, dès le trois février, retrouve sa virginité, en dehors de toute souillure du sang. Joseph et Marie sacrifient un couple de tourterelles car le sang de la bête lave du sang de l’accouchement. Ce même jour, Saint Blaise est invoqué «afin que nous puissions jouir de la protection de celui-là même dont nous servons les fêtes de la naissance», dit le bréviaire. Saint Blaise est associé à la naissance du Christ. L’enfant gallique alchimique né le trois février apporte un bénéfice, Ra-Blaise propage donc les bénéfices de la naissance de Gargantua. Si Blaise est le saint de la gorge et du souffle, pour que la naissance miraculeuse de Gargantua se répande sur la surface de la Terre, il faut desserrer l’anneau de la gorge, ce que fait Rabelais – Blaise :
Gargantua, Chapitre I, page 10
Je (combien que indigne) y fuz appelé, et, à grand renfort de bezicles, practicant l'art dont on peut lire lettres non apparentes, comme enseigne Aristoteles , la translatay, ainsi que veoir pourrez en Pantagruelisant, c'est-à-dire beuvans à gré et lisans les gestes horrificques de Pantagruel.
La méthode pantagruélique est définie ici, c’est un savoir lire des lettres inapparentes. Le bréviaire est un texte d’une mystique absolue et en même temps d’une obscénité avérée. Cette religion castratrice est en même temps celle d’un accès large et fort à la chair par le prêtre. Le pantagruélisme est ce déploiement de la part retenue du bachique caché chrétien, auquel le prêtre aspire et accède. Il y a un processus du géant ensemencé qui consiste à nous donner une forme de divinité, plus universelle, incarnée par la mythologie gallique.
Dans le bréviaire, la textualité d’origine, l’Ancien Testament, est abreuvée par la pluie abondante de la naissance du Christ. Rabelais il fait l’éloge de la racine de Jessé. Le Christ vient d’une longue lignée qui remonte à Adam sans rupture. De même une lignée de géants commence à Caïn et conduit jusqu’à Pantagruel. Pantagruel viendra donc d’une descendance caïnique. La lignée des géants vient de la démesure des corps issue de la diffusion du sang d’Abel dans la terre (pages 219 à 221).
Dans la figure de Pantagruel, il faut voir la vocation d’un sauveur dans cette posture d’un enfant premier né. C’est un enfant qui ne peut pas sortir : à qui doit-il être dédié ?
Dans l’hymne qui suit la célébration, le prêtre est invité à lire un passage du livre de l’
Exode,
«le Seigneur parla à Moïse et lui dit ceci : sanctifie-moi ton premier né qui a ouvert une vulve parmi les filles d’Israël.» C’est l’inverse de ce qui se passe avec Gargamelle : puisqu’elle est dans la constriction, l’enfant sort par l’oreille.
Cette extension du révélable crée des objets théologiques nouveaux. Ici Rabelais s’intéresse aux gens ayant une vocation spirituelle dans la souillure, aux brebis perdues vouées au monde de la déchéance (cf.
Aux lecteurs du Gargantua, les vérolés très précieux). Dans le propos des bien-ivres :
«nous autres innocents nous ne buvons que trop sans soif». Alors il n’y a pas de péché originel au sens de Saint Augustin. Les vérolés sont des innocents qui boivent sans soif, ce sont des élus négatifs.
jeudi 9 février 2012
On distinguera la foi théologique et la foi profonde, le livre biblique et le livre pantagruélique, le révélable biblique et le révélable mythologique. On peut lire la Bible dans la ligne thomiste en passant du révélé (révélata) au révélable (révélabilia) par une foi trouvant son appui dans le livre garanti par les institutions de l’Église. Mais on peut lire la Bible de manière pantagruélique, qui nous met en rapport à la Kabbale. La différence entre le gallique et le théologique peut passer dans la Bible elle-même. Prenons un exemple, le jeu de mot de Jésus sur Saint Pierre est semblable à celui que l’on trouve chez Rabelais. La transformation de l’eau en vin se fait dans une fête ritualisée comme celle que l’ethnologie découvre dans ses réflexions sur le folklore.
Et encore il faudrait relire l’ensemble de la Bible en opérant la distinction entre une Bible abélienne et une Bible caïnique. Ainsi les scènes de naissance, l’ambiguïté entre la pendaison et la crucifixion du Christ, laissent entendre que nous somme face à une Bible encore contenue dans ses puissance ethnologiques - ce qui ne veut pas dire que le message chrétien doit être réduit à une science humaine. Il doit y avoir une autre révélation que celle que thématise la théologie. Le problème de l’invocation du Christ à Eli est un autre exemple de ce problème. L’expression Elie lama sabactani comporte un jeu de mots : Elie est-il le prophète ? Ou Dieu ? Quand Pantagruel doit aller au secours du pays de son père envahi par des soldats qui veulent le piller, il quitte sa maîtresse. Cette dernière, de désespoir, lui envoie une bague portant un diamant faux et elle fait graver à l’intérieur de la bague la même invocation, Elie, lama sabactani, écrit par Rabelais en Araméen. Le jeu de mot est : dis amant faux pourquoi tu m’as abandonnée ? Mais pourquoi appelle-t-elle Pantagruel Elie ? Quel est le rapport entre Eli et le Christ ? Entre le Christ et Pantagruel ? Cette bouffonnerie renvoie à des problèmes effroyables, celui des gens qui ne meurent pas (Elie enlevé par un char de feu, Enoch et Jésus). Bref, la lecture pantagruéliste de la Bible, par-delà du problème des langues (Rabelais parlant hébreu et grec), libère des possibilités encore latentes dans le fond judéo-chrétien. - Peut-être que Gaignebet appelait ainsi un nouveau rapport au Christ, avec Marguerite et l’Inde…
Le mot «mythologie gallique» se trouve page 923, au cours d’une prédication bouffonne écrite par Rabelais au début de l’année (pantagruéline prognostication).
La comparaison de la Bible en comparaison de l’œuvre générale des chroniques pantagruéliques est page 215.
Et le monde a bien congneu par experience infallible le grand emolument et utilité qui venoit de ladicte Chronicque Gargantuine : car il en a esté plus vendu par les imprimeurs en deux moys qu'il ne sera acheté de Bibles en neuf ans.
Pantagruel, Prologue de l’auteur, page 215
M
ais que diray je des pauvres verolez et goutteux ? O, quantes foys nous les avons veu, à l'heure que ilz estoyent bien oingtz et engressez à poinct, et le visaige leur reluysoit comme la claveure d'un charnier, et les dentz leur tressailloyent commefont les marchettes d'un clavier d'orgues ou d'espinette quand on joue dessus, et que le gosier leur escumoit comme à un verrat que les vaultres ont aculé entre les toilles ! Que faisoyent-ilz alors ? Toute leur consolation n'estoit que de ouyr lire quelque page dudict livre, et en avons veu qui se donnoyent à cent pipes de vieulx diables en cas que ilz n'eussent senty allegement manifeste à la lecture dudict livre, lorsqu'on les tenoit es Iymbes, ny plus ny moins que les femmes estans en mal d'enfant quand on leurs leist la vie de saincte Marguerite.
Pantagruel, Prologue de l’auteur, page 214
Sainte Marguerite, la dernière figure à laquelle s’intéresse Claude Gaignebet apparaît ici. Dans le mythe de Gargantua pour supporter le traitement de la syphilis (bains de mercure dans des étuves) on retrouve aussi le thème de la gorge. Au Moyen-âge, pour calmer les femmes des douleurs de l’enfantement, on leur lisait la vie de Sainte Marguerite. La lecture de la vie de Saint Marguerite a une vocation analogue à celle de la lecture de Gargantua. Sainte Marguerite est la figure superstitieuse et médiévale du rapport entre la naissance et le pantagruélisme. Ce dernier apparaît comme une thérapie natale où le cri primal est la première désocclusion de l’homme (comme les puits qu’il faut ouvrir). Cette libération est accompagnée par Sainte Marguerite, de même que pour le vérolé il faut un texte d’accouchement de sa vérole, et qui est le pantagruélisme lui-même. Qu’est-ce que cette vérole ? Doit-on en conclure que Rabelais est rongé par la maladie ?
Il vous convient doncques noter que, au commencement du monde (je parle de loing, il y a plus de quarante quarantaines de nuyctz, pour nombrer à la mode des antiques Druides), peu après que Abel fust occis par son frere Caïn, la terre embue du sang du juste fut certaine année si tres-fertile en tous fruictz qui de ses flans nous sont produytz, et singulièrement en mesles, que on l'appella de toute memoire l'année des grosses mesles, car les troys en faisoyent le boysseau.
Pantagruel, Chapitre 1, page 217
La référence à Abel témoigne de la lecture pantagruélique de la Bible. Le commencement du monde dans la Bible date de -4000, et donc de -6000 pour nous. Rabelais, pour marquer la différence avec les théologiens du Moyen-âge, calcule la date en mode celtique à partir des lunaisons druidiques. Le sang d’Abel le juste croît dans la terre et produit des fruits démesurés, les mesles (nos nèfles). Les corps sont démesurés à cause du sang qui marque le début de la lignée gigantale ici racontée. Ceux qui mangent les nèfles sont enfantés par Caïn. Des enfants de Caïn se nourrissent d’une terre fécondée par le sang d’Abel. Un lignage caïnique est nourri du sang du juste, comme les chrétiens sont appelés à se libérer du péché par le sauveur qui est le Christ. Entre l’eucharistie et le chrétien et entre le fils de Caïn et l’absorption des nèfles, le rapport est le même. On devient géant par la conjonction d’un sang salvateur et d’une race maudite. Une eucharistie dans cette terre imbue de sang. Le christianisme promet un homme sauvé mais non gigantesque, tandis qu’ici le sang d’Abel fait entrer dans une démesure du corps conduisant à la lignée gigantale.
Pantagruéliser avec le bréviaire
À la date du deux février, le bréviaire présente le Christ comme homo sine semine, l’homme sans semence. Face à cet homo sine semine qui ouvre la vulve de Marie en naissant, quelle est la position du disciple de Saint Blaise, c’est-à-dire du disciple du pantagruélisme ? Ce n’est pas un homme sans semence, mais il naît de Gargamelle à la lecture de la vie de Sainte Marguerite. D’un côté nous avons l’homme marial, et de l’autre l’homme margueritain ou morganatique né du discours de Morgane.
L’herméneutique pantagruélique est basée sur trois actes :
- Faire surgir des lettres non apparentes. Pour obtenir la permutation des lettres dans la Kabbale, on peut en ajouter quelques unes, sous l’argument qu’il peut en manquer une ou deux. Par exemple, Rabelais écrit sans cesse : «le diable aime fort les quittes». La permutation des lettres donne : «Rabelais te dis : quelle est ta foi ?» Si les contrepèteries et les permutations de lettres, à quelques lettres près, donnent une phrase sans aucun rapport mais touchant le fond du pantagruélisme, alors il existe un nombre N de sens dans le texte.
- Être ivre, de quoi ? C’est boire à gré, non pas à en être aliéné par le vin, mais d’une façon qui libère l’esprit.
- Se répéter en permanence l’histoire de Pantagruel, avoir en tête une mythologie mère ou une mythologie trame. C’est libérer le sens en projetant l’histoire de Pantagruel comme clé des autres histoires qui viennent s’y agréger. C’est une structure de prolifération qui sert de base à l’herméneutique.
Dilthey et Gadamer conçoivent la l’herméneutique sur le mode d’un dialogue avec le texte. Cette herméneutique intersubjective ouvre la dimension de vie d’un texte par un dialogue qui soit l’ouverture de l’étant ou qui libère la vie du texte. Mais si nous avons le droit de changer le texte (l’art des lettres non apparentes), nous devons être dans un état de transe ou extatique (et non dans une fonction dialogique). D’autre part nous avons un texte référant, une mythologie de coordination, une matrice mythique - qui n’est en aucun cas l’enjeu du libre dialogue avec le texte que suppose Gadamer. Pantagruéliser est plus proche de la tradition primordiale au sens de Guénon, ou du Veda. Ce dernier est un texte de référence qui explique tous les autres, de même que le Mahabharata, qui est une projection du Veda. Le texte mère ou matriciel du Mahabharata est le Veda. Le texte total, qui est la phénoménalité des Veda, est le Mahabharata. De même, le Veda est le mythe de Pantagruel, et le Mahabharata est le roman de Rabelais. Il s’agit de reconstituer le Veda - Pantagruel - derrière la phénoménalité du texte qu’est le Mahabharata pantagruélique. Il existe un texte mère, une structure primordiale, une tradition hors humaine et des phénoménalités expressives éparses dans l’histoire du monde et de la bibliothèque occidentale. Le pantagruélisme se fait avec toute la textualité, païenne et chrétienne de l’Occident. Il interroge la bibliothèque totale à partir de l’arborescence que constitue la mythologie pantagruélique.
Ce que les dernières lignes des Chroniques nous laissent entendre :
Cy finissent les Cronicques du grant et puissant geant Gargantua, contenant sa genealogie, la grandeur et force de son corps. Aussi les merveilleux faictz d’armes qu’il fist pour le noble Roy Artus, tant contre les Gos et les Magos, que à l’encontre du Roy d’Irlande et Zélande. Avecques les merveilles de Merlin. Nouvellement Imprimées à Lyon.
Chroniques, page 173
La Chronique est donc liée à la légende du roi Arthur. C’est l’une des branches de la légende de ce dernier, donc du cycle du Graal et du cycle de Lancelot. Le mot ultime du pantagruélisme est Gargan, qui lui-même n’est que l’un des noms d’Arthur ou une suite d’Arthur. Cette filiation arthurienne de Gargan explique que nous retrouvons sans arrêt le Mont Saint Michel, notamment dans la lignée des naissances ayant eu lieu à Tombelaine. Le Mont Saint-Michel est lui-même lié à Arthur. Rabelais comprend qu’il touche la tradition primordiale arthurienne en racontant l’histoire de Gargantua. Gos et Magos sont les géants ennemis dans la Bible. Le roi d’Irlande rappelle les puits de Saint Patrick : un système celtique et gallique est la contraction entre la Cornouaille, le pays gallo et l’Irlande. Zélande sont les îles au large de l’Écosse, c’est l’aspect écossais de ce texte. Merlin est présent chez Rabelais et dans la mythologie pantagruélique. Cette liaison n’est pas une invention de Rabelais, est déjà présente dans le texte lyonnais.
Et ainsi vesquit Gargantua au service du Roy Artus l’espace de dieux cens ans troys moys et .III. jours justement. Puis fut porté en faierie par Gain la phée, et Mélusine, avecques plusieurs aultres lesquelz y sont de present.
Chroniques, page 172
Quel est notre lien avec Arthur ? Pourrions-nous nous mettre au service d’Arthur ? Gargantua vécut deux cents ans, trois mois, et quatre jours. Est-ce en rapport avec la durée de la vie de Melchisédek ? Ce sont des chiffres en rapport avec les grandes dates et la longévité monumentale des gens comme Abraham, Gain et Morgane. Les disciples d’Arthur appartenant à la frairie morganatique ne meurent pas mais vont au pays des fées, que Rabelais nomme page 298.
P
eu de temps aprés Pantagruel ouyt nouvelles que son pere Gargantua avoit été translaté au pays des phées par Morgue, comme feut jadis Ogier et Arthus
Pantagruel, Chapitre 23, page 298
Gargantua est envolé au pays des fées par Morgane/Marguerite. La tradition enseigne que ce pays des fées est Avalon, qui est pour certains l’Irlande, pour d’autres l’Écosse, pour d’autres enfin ultima Thulé, l’île du Nord. Rabelais parle de Thulé, l’île septentrionale, qui devient l’expression la plus maritime de la Grande Ourse, du thème des constellations du Nord et de l’étoile polaire. Pays des fées - Avalon - Thulé - l’étoile polaire : c’est la même chose, le point de rotation de l’univers, le sens du vortex. Le Veda énonce la même chose : la tradition primordiale a une origine nordique et l’Inde est le pays des dieux car elle entre en résonance avec Thulé. C’est l’origine polaire de la tradition védique, comme l’apprend Tilak dans L’origine polaire de la tradition védique. Nous retrouvons la même structure ici. Le «G» de Og et de Ogier est celui de la gorge qui marque le point de rapport entre Saint Blaise et Rabelais.
Le poème du bréviaire du deux février est dédié à l’homo sine semine.
Ô femme glorieuse parmi les vierges, la plus haute parmi les étoiles, tu nourris celui qui t’as créée comme un bébé par ton lait fécond et abondant. Ce que Ève la misérable a perdu, tu nous le rends par un germe/fœtus fécond/maternel. Que ceux qui pleurent rentrent comme des étoiles, tu refermes les portes du ciel. [Qu’ils rentrent comme des astres ; les portes grinçantes du ciel, tu les refermes.] Toi tu es la porte du grand Seigneur. Tu est la chambre brillante de lumière. Vous les gens qui êtes sauvés, applaudissez la vie qui vous est donnée par la vierge. À toi Jésus qu’il doit la gloire, toi qui est né de la vierge, avec le Père et l’Esprit, dans les siècles éternels, Amen.
Marie est fille de son fils. Ce thème très ancien se retrouve notamment chez Dante, au chant XXXIII du Paradis. Marie engendre Jésus qui est son fils : telle est la descendance normale. Mais en réalité la vierge est elle-même la fille de Dieu. C’est un cercle : elle engendre un enfant qui l’engendre à son tour. Elle est donc fille de son fils : cette formule est trouvée par Saint Bernard qui la met au centre des ses hymnes à la vierge.
Comment comprendre que celle qui s’ouvre pour donner naissance au sauveur referme les portes ? Dès que Jésus naît sur la terre, il apporte le salut mais aussi une sorte de prédestination. Tous les hommes qui sont sauvés savent déjà qu’ils seront sauvés. Dans l’engendrement, Marie s’ouvre pour faire naître l’enfant, mais en même temps elle referme les portes du ciel, car le nombre des sauvés est déjà décidé, dans une prédestination absolue. Marie est à la fois celle qui ouvre et celle qui ferme.
Dans le Cinquième livre, Rabelais prend l’image de la dive bouteille. Elle contient en elle un poème (page 832). Nous retrouvons l’idée du vin à une oreille, d’une cruche dissymétrique qui reprend l’idée de la naissance du bébé par l’oreille. La mère en proie à la constriction ne peut faire naître Gargantua par son ventre, mais elle le fait naître par son oreille. La bouteille donne un mot sacré. C’est l’attente d’un mot qui va résoudre l’humanité. Une parole perdue va revenir par la bouteille. Ce mot est Trinch : ce n’est pas simplement «bois», mais au minimum «Avalon(s)».
Le christianisme porte une dimension bachique. Lucien raconte une histoire capitale : les bachiques attaquent les brahmanes, suivant la voie d’Alexandre. Ils se présentent aux portes de l’Indus mais ils sont tellement alcooliques qu’ils arrivent dans un état d’ivresse tel que les Brahmanes, qui représentent la tradition primordiale du Veda, se moquent de cette armée de pouilleux celtiques galliques. Les brahmanes jugent la situation si facile qu’ils envoient leurs écuyers. Mais au moment du choc des deux armées les bachiques libèrent leur puissance extatique contenue dans le vin, dissimulée par une fausse ivresse. Aux prix d’une bataille extraordinaire, ils exterminent les Brahmanes. Rabelais demande de ne pas craindre notre fascination pour l’Inde, car les bachiques ramollis et énervés par l’usage illimité du vin de Lyon se rendent maîtres des Brahmanes mais aussi des éléphants qui étaient leurs armes secrètes. La tradition d’un Bacchus gallique aura raison de la tradition brahmanique qui, tout en venant elle aussi de Thulé/Avalaon, n’est qu’une tradition abâtardie par son goût de l’ascèse qui n’assume pas la part bachique en restant trop liée à la distinction des castes (hors ce sont les hors-castes, les bachiques, qui subvertissent la tri-fonctionnalité brahmanique). Chez Rabelais on trouve les arguments pour s’opposer à Dumézil.
La vérité enclose rappelle la question de la fermeture. Au lieu de se priver de vin pour être un ascète, Rabelais propose une autre sagesse. Elle consiste à boire pour ne pas cacher la vérité aux autres. Celui qui est ivre dit la vérité. Il s’agit de chercher la libération de la franchise que représente le vin. L’ère de Noé est l’âge de l’humanité qui commence avec le déluge. Noé est l’inventeur du vin. Quand Rabelais cherche un mot rédempteur qui libère l’humanité de la misère de la perte de la parole, il retrouve les deux vins, blanc et rouge, recomposés dans la magie de la bouteille.
Un texte de Saint Blaise rapporte son supplice. À l’époque de l’empereur Agricola, Blaise est accusé de christianisme et va être tué. On commence par le suspendre sur un morceau de bois : on le crucifie, mais il ne meurt pas. Puis on prend des peignes de fer pour arracher ses muscles un par un, mais il ne meurt pas. Ensuite, on le plonge dans un lac pour le noyer : il ne meurt pas. Blaise est un saint qui est lié à l’air, à l’eau, au feu (par le peigne qui le cuit). Dans son supplice, il a quelque chose de cosmique rappellant la position de Wotan. C’est l’idée du Dieu suspendu : Ésus est un dieu celtique qui est aussi Jésus. En pantagruélisant son nom, on lui donne une dimension celtique, le doux Ésus. A Paris on a découvert une pierre sculptée dédiée aux marins naviguant sur la Seine, pierre sur laquelle se trouve un Dieu pendu nommé Ésus.
Sur ordre de l’empereur, on finit par couper la tête à Blaise. L’œuvre de Rabelais présente-t-elle des rebondissements à partir du thème de la tête coupée ? L’image de deux enfants associés à un évêque ressemble à la Saint Nicolas, avec des enfants à la tête coupée dans la bassine. Ou bien les enfants sont les deux larrons mis en croix, ce serait alors une reprise, transformée mythologiquement, du thème des deux larrons. Ou bien encore dans le Tarot l’image du diable présente deux enfants attachés au diable par une chaine qui leur est attachée par le cou. Blaise a-t-il quelque chose de diabolique dans son impossibilité à mourir. Le thème de la tête coupée est repris dans le jeu de mots de Rabelais : le retournement de l’expression «tête coupée» donne «coupe téter», c’est-à-dire boire à la coupe. Dans le Pantagruel, un homme a la tête coupée dans une bataille, il descend en Enfer, et remonte à la surface. À ceux qui l’interrogent sur ce qui lui est arrivé, au lieu de répondre qu’il a eu la tête coupée, il parle de coupe téter. Ce lapsus signifie qu’il ne peut revenir que parce qu’il s’est transformé en Graal, et nous retrouvons nos propos sur Arthur, sur la lignée de Pantagruel. Faut-il entendre que Blaise peut ressusciter car il eut la coupe tétée - c’est-à-dire parce qu’il but au Graal.
En admettant la thèse d’un Rabelais écrivant la somme gallique, d’Ésus à côté de celle de Jésus, nous obtenons une Bible qui se répand et s’ouvre jusqu’aux textes sacrés de l’Inde. C’est une extension aux limites de toute textualité de la tradition indo-européenne. Et nous sommes obligés d’introduire l’obscène dans le religieux : une conception ascétique du religieux ne suffit plus, mais l’érotisme entre dans la Révélation. Un érotisme appartient aux révélata et conduit à un révélable propre. Nous retrouvons aussi le tantrisme, les traditions de l’érotisme sacré de l’Inde. La tradition européenne permet de maintenir cette voie ouverte en contexte augustinien ascétique. Dans un monde du refoulement, cette obscénité rigolarde de Rabelais maintient cette voie sexuelle comme voie initiatique. Ce tantrisme connaît sa voix comme chez Dante, qui fait signer vers une initiation du guerrier par l’amour mais sur le mode de l’ascension et non sur le mode du renversement comme chez Rabelais. Il y a quelque chose de très fort à maintenir des voies qui sont rendues impossibles à cause du caractère agélaste de l’Occident.
Quand Rabelais a l’idée de réveiller l’onomastique des villages français, il effectue ceci par rapport à une révélation, par rapport à l’axe pantagruélique. Et Rabelais accorde une plus grande confiance dans la langue du peuple que dans celle des savants. C’est comme si Rabelais se rendait compte que les grandes réformes de la langue française à la Renaissance la rigidifiait dans l’orthographe, dans la syntaxe et dans le lexique. Rabelais se rend compte d’un embourgeoisement de la langue française, d’une rigidification de l’esprit peut-être sous l’influence de la centralisation de l’État français. Il n’a pas confiance en la transmission érudite et doit chercher dans la langue populaire la plus vulgaire des remontées de tradition primordiale qui se sont égarées dans les discours académiques des humanistes.
Alors que nous comprenons souvent Rabelais comme le représentant de la Renaissance, en citant la lettre de Gargantua à son fils, nous pouvons nous demander s’il n’est pas plutôt un penseur médiéval qui revendique un Moyen-âge français contre la pédanterie de l’humanisme italo-européen. Ce serait la revendication d’un anti-humanisme. Il est certes un humanisme, mais c’est un humanisme élargi. De la même manière que Rabelais élargit la somme théologique, il élargit le concept de l’homme que propose l’humanisme. Le grand texte de l’humanisme est le Discours sur la dignité de l’homme, de Pic de la Mirandole (que Rabelais cite) cependant l’homme immense et cosmique de Pic n’est rien par rapport à l’homme tel que Rabelais nous le présente dans les Chroniques inestimables. Les plus grands humanistes, ceux qui ont poussé le plus loin le gigantisme du genre humain, sont petits par rapport à l’homme de Rabelais. Ce dernier est humaniste, mais non dans le même sens que les autres.
Il faut concevoir un terrain unique, à labourer, qui se trouve arpenté par Rabelais, et dont nous ne savons pas encore exactement jusqu’où il s’étend. Nous l’avons étendu dans le temps en remontant à l’Inde, nous l’avons étendu dans l’espace en remontant à l’arc celto-cantabrique, nous l’avons étendu dans les langues avec l’Araméen. Nous avons vu un élargissement de la théologie : ce qui était bien fondé mais un peu étroit dans la société occidentale est remis en question par cette façon de se représenter l’univers. Rabelais est sans doute un grand écrivain selon la rhétorique obligée, mais il déchaîne une langue française qui n’existe ni dans les styles qui lui succèderont, ni dans la façon que la France a se représente son passé. La France n’assume pas ce bouillonnement dont Rabelais témoigne et qui n’apparaît que peut-être parfois chez les historiens de l’art, par exemple dans les études sur Chambord. Les gens de la Renaissance sont des anormaux ayant des idées dépassant les bornes.
Cette observation ne rejoint pas forcément la thèse de Foucault : difficile pour un rabelaisien d’accepter ses propos sur la Renaissance. Foucault commence par citer Rabelais dans le prologue des Mots et les choses, il reconnait qu’il y a chez Rabelais des catalogues analogues à ceux que l’on retrouve en Chine. Mais ensuite il prend comme exemple Paracelse et des corpus anciens qu’il lit mal pour soutenir la théorie des signatures. Foucault ne peut accepter le cosmos de Rabelais, structuré selon la binarité microcosme/macrocosme. En soutenant qu’il s’agit d’un rapport de ressemblance, Foucault méconnaît Denys l’Aéropagyte (cf La hiérarchie céleste ; et la citation chez Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique, dans le dernier article de la première question de la Prima pars). Ce dernier soutient que l’analogie théologique ne fonctionne pas dans la ressemblance mais dans la dissemblance. Pour manifester la grandeur infinie du nom de Dieu, il faut que les images, loin d’être prétendument ressemblantes, soient les plus dissemblables possible. Rabelais appartient à cette tradition dionysienne : il s’agit de comparer Dieu avec un torche-cul pour comprendre quelque chose. C’est une mise en avant de la dissemblance maximale, de l’arc le plus tendu possible dans la pensée. En arrêtant la Renaissance sous le schème idéologique de la ressemblance, nous manquons le moment dionysien et dionysiaque qui met la Renaissance sous le signe de la différence et non de la ressemblance. Le texte rabelaisien est insensé, extrême, très violent, car il est face au défi d’une dissemblance cardinale, organisatrice, primordiale. Dans le dernier article de la première question de la Prima pars, Thomas se demande si la théologie doit utiliser des métaphores. Denys répond que oui, à condition qu’elles soient dissemblables. La lecture de Foucault est éreintante pour la compréhension de la Renaissance, car vouloir arrêter Montaigne et même Paracelse à un système de ressemblance, est absurde. Certes Paracelse est un système de signatures, mais elles ne sont efficaces que si elles rentrent dans un estomac, dans une cornue alchimique. Le problème de Paracelse n’est pas de produire de la ressemblance, mais de l’alchimie, de la transformation. Paracelse est lui aussi un penseur de la dissemblance. Il s’agit de ne pas nous laisser perturber par des conceptions rendant impossible de mesurer le compas de Rabelais - qui n’est pas à 180 degrés, mais à 360. Ce compas est une sphère.
jeudi 1 mars 2012
Rabelais et la Réforme
Dans le dictionnaire de théologie catholique c’est écrit que Luther est le Rabelais allemand. Cette idée vient de W. G. Moore (La Réforme allemande et la littérature française, 1930) et se retrouve dans les propos de Lucien Febvre sur Rabelais et son rapport au christianisme, au sein d’un ouvrage paru chez Albin Michel. Est-ce que Rabelais est le Luther français ? Si on considère nos propos sur le bréviaire, on peut supposer que l’art de Rabelais ne consiste pas à déduire la structure du catholicisme le plus dogmatique, mais à le lire autrement. L’élargissement du corpus révélé que Rabelais propose est quantitatif. C’est aussi un élargissement du commentarisme, qui est le geste herméneutique par lequel on s’approprie le texte révélé.
Influences de Luther
Christian Sommer, dans Heidegger, Aristote, Luther : les sources aristotéliciennes et néotestamentaires d’Être et temps, reprend le cours de 1921 où Heidegger enseigne le Livre X des Confessions de Saint Augustin. En 1924, Heidegger commente La controverse de Heidelberg (1518) de Luther, notamment les thèses 19, 21 et 22. Heidegger se convertit au protestantisme à la suite de l’influence de sa femme. Et il rencontre la pensée de Luther en tâchant de se définir à partir de 1921 comme un théologien chrétien luthérien. Son dessein est de proposer l’exégèse d’un nouveau sentiment de la vie, qui oppose la théologie chrétienne et Aristote. Il s’appuie sur la mystique médiévale allemande et sur Luther.
Sommer montre que ce n’est pas seulement un moment de l’œuvre de Heidegger, mais toute l’œuvre jusqu’à Sein und Zeit se caractérise par cet attachement à Luther, lequel est aussi important que la phénoménologie dans la constitution du savoir de Heidegger. L’œuvre de Heidegger arrache le christianisme à l’ontologie grecque, afin de rendre possible un nouveau sentiment de la vie contre Aristote. Ce nouveau sentiment de la vie serait spécifiquement énoncé par l’expérience chrétienne de l’existence. Heidegger penserait que Luther est un moyen d’entrée capital, dans sa réflexion sur le problème du péché présent au centre de La controverse de Heidelberg. À l’instar de Hegel qui procède profondément dans sa théorie de la négativité de Luther, et comme Nietzsche dans Zarathoustra, Heidegger serait une remémoration de l'instauration de l’anthropologie du péché en tant que non réductible à une catégorisation aristotélicienne.
Quand ensuite Heidegger discute la question de l’humanisme, il ne se contente pas de proposer une lecture de l’humanisme en général, mais se demande, en poursuivant son dessein de 1921, dans quelle mesure la réforme luthérienne peut être considérée comme un phénomène de la Renaissance et de l’humanisme ; ou si elle est la plus grande critique de la Renaissance, et alors le protestantisme serait non une Renaissance accomplie mais sa subversion systématique et profonde. Heidegger, à cause de ce passage par Luther, arrache toute son œuvre sur un fond de relecture critique de la Renaissance et nous place dans l’obligation de faire de Sein und Zeit une sorte d’auto-interprétation du dessein de l’Allemagne protestante dans l’histoire de l’humanisme européen. Cette traversée dramatique et critique le conduit à déterminer que l’humanisme se voue à l’étant, tandis qu’une pensée approfondie de l’anthropologie du péché chez Luther conduit à une pensée de l’être. Sein und Zeit ne serait pas une distinction phénoménologique ou une relecture critique de la phénoménologie, mais l’effraction du protestantisme réformé luthérien dans l’espace de l’humanisme européen voué à la subjectivité (Pic de la Mirandole), à la maîtrise de la nature (Galilée), à l’histoire (la tradition prétarquisante), à toutes les versions de la volonté de puissance (Machiavel). Toute la Renaissance anticipe le destin de la métaphysique occidentale. Seul Luther, en s’y opposant, discerne la logique fatale de cet humanisme, son rapport à l’étant comme cause, et dégage une entente nouvelle de l’être que seul Heidegger est à même de reprendre à son compte et de pousser à une nouvelle étape de détermination et d’approfondissement.
Déjà Courtine met l’accent sur le volume 60 des Œuvres complètes et montre l’importance du luthéranisme dans l'expérience de Heidegger. Nous pouvons continuer cette ligne de Sommer et chercher à quel point Luther importe chez Heidegger. Sommer lit dans Luther non seulement l’une des matrices de l'anti-humanisme heideggerien, mais aussi une polémique de la métaphysique dans sa constitution onto-théologique. Il cite le texte de Luther, dans la Controverse d’Heidelberg.
On ne peut appeler à bon droit théologien celui qui considère que les choses invisibles de Dieu peuvent être comprises à partir de celles qui ont été créées.
Controverse d’Heidelberg, thèse n°19, pléiade, page 179
Luther refuse les procédures de preuves de l’existence (présentes chez Thomas d’Aquin) de Dieu à partir de la création. Il n’y a pas de voie par les choses. L’invisibilité de Dieu, qui est le Christ lui-même, ne peut pas être saisie par une analogie à partir des faits naturels. Heidegger commente ce texte et y voit le refus d’une constitution onto-théologie de la métaphysique. Toute la métaphysique occidentale procède à partir des choses créées définies comme des étants et réduit l'action créatrice de Dieu à cette dimension créaturelle. Or la véritable source de l’ontologie n’est pas dans le monde créaturel étant, mais dans l’invisibilité même de Dieu. Cette dernière est le caractère non créé, pré-créé, qui appartient à l’économie intérieure de dieu. Luther estime en revanche que l’invisibilité de Dieu (qui ne se manifeste pas par les créatures) se révèle par la croix. Elle est la seule attestation de l’invisibilité de Dieu qui ne se réduit pas aux étants créés. Heidegger, en 1921, voit dans le parti-pris luthérien de la croix le déchirement de la vie facticielle (Œuvres complètes volume 60, page 209, cité par Sommer page 44). La croix n’est pas seulement un objet de foi ecclésiale, mais elle est pensée comme déchirement de la vie étante qui soumet l’expérience de l’être à la construction causale manifestée, substantielle, de la métaphysique catégorielle issue de l’aristotélisme.
L’une des voies de travail consiste à suivre cette thèse 19 de Luther et de chercher dans quelle mesure ce déchirement de la vie facticielle est à la base de l’expérience heideggérienne de l’être. La question de l’être est une crucifixion de la métaphysique occidentale. La destruction de la métaphysique, qui est l’objet déclaré de Heidegger, passe par une revendication de radicalité dont Luther serait la forme la plus absolue. L’invisibilité de Dieu fait irruption au sein d’une phénoménalité entièrement vouée à la vie facticielle.
Cette première voie donne lieu à une nouvelle école heideggérienne et à une nouvelle lecture de son œuvre. Heidegger s’arrache à la scolastique qu’il étudie dans sa jeunesse, cet écart trouve sa réalisation dans un cours de 1927, Principes fondamentaux de la phénoménologie. L’auteur produit une rétrospection sur l’histoire de la métaphysique dans la ligne de Thomas d’Aquin et Suarez. L’anthropologie qu’il cherche à créer coupe court à la doctrine de l’analogie construite dans la scolastique chez Thomas et trouve son accomplissement chez Suarez.
Les principes fondamentaux de la phénoménologie, dans leur opposition à l’analogie de l’être, sont la poursuite rigoureuse de l’irruption de Luther. C’est un regard luthérien posé sur l’économie de la métaphysique. Le refus heideggérien de l’analogie est le refus luthérien de l’analogie. - Karl Barth disait que l’analogie est le diable. La destitution de la doctrine scolastique de l’analogie libèrerait de la diabolique de l’analogie et l’avenir de la philosophie serait de détruire toujours plus radicalement la doctrine de l’analogie au nom d’une anthropologie fondée sur le sentiment de vie, étranger à Aristote, et revendiqué par Heidegger.
Courtine travaille sur l’analogie, qu’il reconstitue depuis Porphyre jusqu’à Cajétan et Suarez. Il met en lumière une alternative à une conception analogique de la vie qui repose sur le monde créé et qui tâche de comprendre l’invisibilité de Dieu à partir de ce dernier. C’est aussi le point de vue de Marion (La théologie blanche) : Descartes instaure l’univocité de l’ontologie moderne, il rompt, au nom d’une tradition fondée chez Duns Scot, avec la conception de l'analogie. La modernité commence avec la fin de l’analogie et l’instauration de l’univocité de l’être. Marion reproduit la critique de l'analogie. Pourtant le concept de l’univocité de l’être de tradition scotiste anti-thomiste comportent aussi de grands risques. Elle conduit à la domination de la subjectivité dans l’idéalisme allemand et de la volonté de puissance chez Nietzsche. Elle nous fait perdre quelque chose par rapport à la spiritualité que l’analogie donnait. Mais il fallait que l’univocité de l’être mette à mort l'analogie pour pousser la philosophie à une univocité tellement radicale qu’elle devient une logique de l’immanence. Cette domination de l’immanence crée une telle déréliction (nihilisme) qu’une voie nouvelle s’ouvre, manifestée par Sein und Zeit, qui n’est ni univoque ni immanente - sans être non plus un retour à l’analogie. Ceci ne fonde plus l’homme sur l’étant mais sur la relation que le Dasein entreprend avec l’être. Avec Descartes nous pouvons nous faire partisans de l’univocité pour annuler la tentation de analogie, et généraliser un triomphe de l’immanence qui conduit au nihilisme, lequel contraint ultimement la philosophie au retournement vers la question de l’être que Heidegger propose dans Sein und Zeit et par le passage du sujet au primat de l’être dans la relation à l’être.
L’analyse de la Renaissance joue un rôle capital, car c’est par cette voie que Luther devint le réformé qu’il est. La radicalité de Luther nous oblige à un inévitable débat avec la Renaissance, et sa grandeur tend à concentrer tous les problèmes actuels de la métaphysique dans l’écart que nous observons entre l’humanisme et la Réforme. L’humanisme (notamment italien) contient en puissance toutes les phases capitales du développement du nihilisme occidental. A l’opposé, la pensée de l’invisible chez Luther produit une critique du péché de l’homme et de l’humanisme lui-même. Sommer oblige à un débat recentré sur la question de la Renaissance, comme si se jouait dans cet âge les plus grands retournements de l’ontologie au vingtième siècle.
De Luther à Rabelais
La présentation de Luther comme le Rabelais allemand pose un problème. Et si le personnage capital dans cet débat n’était pas tant Luther que Rabelais ? Tout se joue autour de la proposition 19 de Luther (Sommer) mais il se pourrait que Rabelais, qui est du même poids et de la même gravité que Luther, intervienne dans cette opposition de Luther à l’humanisme.
On objecterait que le pantagruélisme ne forme pas une Église en train de conquérir le monde comme les sectes protestantes. La fécondité du geste de fécondation de l’histoire du christianisme produit par Luther a une extension inimaginable, encore plus grande que celle de François d’Assise. En termes quantitatifs, sectaires, historiques, Luther a une importance considérable par rapport à Rabelais. Pourtant, quand il s’agit de d’héritage du christianisme, il est moins sûr que Rabelais n’a pas son poids, si ce n’est équivalent, mais à tout le moins qu’il se situe sur des questions semblables, avec un point de vue différent, mais placé sous la lumière de la même radicalité. Rabelais fait partie d’un mouvement évangéliste qui est en lien permanent avec la réforme luthérienne, au moins jusqu’à l’affaire des placards (où Rabelais prend le parti du roi). Mais Rabelais fréquente les luthériens français, notamment la sœur du roi, proche de Luther.
Calvin appartient aux mêmes milieux que ceux dans lesquels se meut Rabelais. Les deux hommes se connaissent. L’acrimonie de Calvin contre Rabelais est si tendue car ils sont très proches, et Rabelais apparaît comme le traitre à une cause évangélique défendue fanatiquement par Calvin. Ces trois hommes - Luther, Rabelais, Calvin - sont dans une interrelation, ce qui les approche est la question de l'invisibilité de Dieu par rapport au monde créaturel.
Et si Rabelais était au fond un Luther ne passant pas à la dimension politique de son action ? Il serait un Luther en réserve, préfèrant une forme de secret à la passion du conflit qui anime Luther et le place face aux autorités de Rome. Rabelais serait une version d’attente, d’observation, de dégagement, à l’égard des conséquences ecclésiales. Par contre, son savoir serait tout aussi radical, tout aussi menaçant pour l’institution, et tout aussi puissant que celui de Luther lui-même.
Le cymbalum mundi, texte anonyme mais attribué à Bonaventure des Périers, est très significatif. Un passage de la fin de l’œuvre mérite méditation : deux chiens se promènent ensemble dans la campagne et dialoguent entre eux sur les événements de la Renaissance française qu’ils traversent. L’un des chiens, Bonaventure des Périers, se réjouit de la liberté acquise garce à son audace intellectuelle, de sa libération à l’égard du catholicisme, de son goût de la transgression. Il se tourne vers l’autre chien, Rabelais, et lui assure qu’il a tort, car il n’a pas le courage d’exploser en public sa conception de la religion et de la société catholique. Il est un transgressif pur se contentant de regarder avec un sourire énigmatique les événements, sans prendre de risque, en se retirant lors des affrontements majeurs. Il est un comploteur silencieux contre l’État et contre le monde évangélique des traditions catholiques et protestantes. Il fait des bouts de route avec les uns et les autres, mais est libre de l’autorité de ces groupes - ceux qui représentent à la cour du roi le catholicisme traditionnel et ceux qui défendent le recours à l’évangélisme devant la sœur du roi.
Rabelais répond qu’il n’est pas un homme d’action mais d’observation et de rire. Il préfère parler par énigmes que de dévoiler sa position. Le premier chien, se répandant dans une prophétique achevant le livre, lui rétorque qu’il doit comprendre qu’ils sont au bord d’une transformation considérable de la vie de l’Europe. Il y a des puits nombreux en France, qu’il faut bien sceller, car les gens des antipodes (les protestants allemands, les athées, les contestataires de l’autorité royale), font eux aussi des puits et rejoindront les puits français pour envahir la partie de terre que l’Europe occupe.
Un destin rabelaisien de l’invisible concurrencerait le destin luthérien de l’invisible, ce qui crée une tentation philosophique. Si Heidegger a été assez profond (après Hegel et Nietzsche) pour tirer une philosophie entière de l’effraction luthérienne ; un lecteur de Rabelais ne pourrait-il pas, en suivant aussi la trace de Michelet et de Victor Hugo, créer une philosophie de l’invisible et du nouveau sentiment de la vie à partir de Rabelais (comme Heidegger la tire de Luther selon Sommer) ?
Ce programme est difficile car nous ne disposons pas d’une église comme celle de Luther, ni de l’appui des théologiens allemands voués à Luther. Surtout nous manquons de cette puissance d’instauration que l’université allemande fut capable de mobiliser autour de Luther. Mais tant mieux, le génie de Rabelais consiste à n’être pas sérieux. Il faut admettre l’instauration de la radicalité de Sein und Zeit – excepté son sérieux. Sein und Zeit est le couronnement des agélastes, tandis que nous, prenant en charge le programme rabelaisien, nous aurions pour but de prendre le parti des rieurs - sans pour autant répéter le rire de Nietzsche (car ce serait un retour à Luther).
L’abbaye de Thélème
Luther affirme qu’à partir de la Controverse son travail consiste à fonder une théologie germanique opposée à la théologie latine de Rome. Les derniers mots de la première édition du Pantagruel lyonnais de 1532 parlant des beaux évangiles en Français répondent à la théologie germanique de Luther par une révélation évangélique propre à la France.
Sus icelle porte estoit escript, en grosses lettres antiques, ce que s'ensuit :
Gargantua, Chapitre LII, page 141
Cy n'entrez pas, hypocrites, bigotz,
Vieulx matagotz, marmiteux, borsouflez,
Torcoulx , badaux, plus que n'estoient les Gotz,
Ny Ostrogotz, precurseurs des magotz
Haires, cagotz, caffars empantouflez,
Gueux mitouflez, frapars escorniflez,
Befflez, enflez, fagoteurs de tabus;
Tirez ailleurs pour vendre vos abus.
Gargantua, Chapitre LIII, page 142
Cy entrez, vous, qui le sainct Evangile
En sens agile annoncez, quoy qu'on gronde :
Ceans aurez un refuge et bastille
Contre l'hostile erreur, qui tant postille
Par son faulx stile empoizonner le monde:
Entrez, qu'on fonde ici la foy profonde,